Source de l’article : 13 JANV. 2013 | PAR FADELA HEBBADJ | BLOG : LE BLOG DE FADELA HEBBADJ
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.
Des cannibales, Michel de MONTAIGNE
Si les expressionnistes ont bouleversé nos perceptions intimes dans une tension visionnaire, s’ils ont prophétisé les tragiques événements du XXème siècle, l’œuvre de Kazem nous fait ressentir une étrange émotion liant l’effroi au jeu dans la joute existentielle entre l’homme et la mort. Des regards s’ouvrent sur un monde déjà vu, sur la voie lassée par toutes les horreurs de la terre.
Kazem est syrien. Ses amis d’enfance et sa famille vivent sous la terreur des balles et des couteaux. Il est ici à Paris. Certains d’entre eux sont morts. Lui est artiste, dans une société qui se croit à l’abri de l’horreur. Et c’est ici que s’exprime son immense talent, que se joue une protestation contre la violence, à travers des regards qui voient triple, double, qui appellent au secours. Ici, dans une Europe qui a conspiré les désastres, dénoncés par les expressionnistes allemands en 1905.
Hermann Bahr dans son essai intitulé ; Expressionnismus, écrivait :
« Jamais aucune époque n’a connu un tel effroi, une angoisse aussi mortelle. Jamais le monde n’a connu ce silence sépulcral. Jamais l’homme n’a eu aussi peur. Jamais la joie ni la liberté n’ont été aussi lointaines. L’époque toute entière n’est qu’un cri de détresse. L’art, lui aussi appelle à l’aide. Il en appelle à l’esprit. Cela est l’expressionnisme. »
La morphologie de son langage pictural met en relief des veines en mouvement qui fulgure une puissance très singulière, celle de la vie. Un autre type de déviation, plus fort, et plus à même de contrer le poids des guerres, surgit de son oeuvre. Cette fulguration provient de la nature. Le bleu est le principe masculin. Le rouge et le jaune sont féminins. L’homme et la femme, impact actif et passif, jeu fou réactualisé d’une volonté de mettre à mort l’autre. L’artiste multiplie les êtres, les portraits, les yeux, excepté peut-être la bouche contenant encore la possibilité d’une parole. Un texte se lit dans les diaphragmes emportés par le mouvement de la nature. C’est sans doute, cette tenture vive et agitée qui me rassure, qui me réconforte un peu. C’est sans doute, ce courant intelligible, cette synthèse forte et colorée qui garantit l’existence de la pensée. Ces visages effrayés sont traversés par l’activité de la nature, car c’est au fond elle qui nous procure toujours un sentiment de soulagement et qui fait naître en nous une activité profonde de réflexion. Cette protection généreusement créatrice souffle à notre vue autre chose que la peur de la mort. Elle formule des pensées de paix sur ces bêtes humaines tyrannisées.
Quand l’histoire se répète, elle se transforme en farce ou en comédie. C’est un fou joyeux magistralement caché par le mouvement de la brume et de ciels bleus, rouges et jaunes qui exaltent l’absurde terreur.
Le privilège de l’artiste réside dans sa capacité à faire parler la grande puissance. Le voleur de joie passe à travers les mailles du filet des obus, tenant tête aux catastrophes. Le jeu de son intelligence immanente à la nature, touche le spectateur, parce qu’il rompt avec le pouvoir des fous qui ont d’ailleurs besoin d’affaiblir ou de pétrifier les esprits en démythifiant les démons. Cette démythification du démoniaque libère les démons dans le champ du réel, affirmait Deleuze. Ne plus produire de mythe conduit à la libération des fantasmes démoniaques. En les excluant ainsi du champ symbolique, les systèmes de pouvoir opèrent l’effroi qui leur convient.
Kazem en mythifiant les monstres, dans une profonde conscience, montre l’absurde système des faiseurs de peur. Le voleur de joie est libéré des chaînes de la peur, car il vole, en peignant le réel, sa liberté.
L’émotion actualise une liberté qui dessine le mystère de la création. Il y a dans l’œuvre de Kazem, une mystique orientale, source d’ouverture d’une totalité puissante qui est celle de l’esprit de la nature.