Au départ il y a l’homme au sourire jovial, aux yeux remplis de vécu et au regard qui se moque de la vie et des aléas du destin. Si Kazem se réfugie dans la bonne humeur et le rire, c’est pour exhorter l’allégresse à prendre le dessus sur l’éloignement, la guerre et le désordre du monde.
Et puis il y a l’artiste au talent incontestable qui fusionne avec l’homme pour traduire milles émotions sur des toiles colorées. Il y a des visages, des traits étrangement familiers, un cri, un étonnement, une joie… des points qui se rassemblent petit à petit comme les instants qui tissent la vie. Soudainement les images apparaissent, aussi éclatantes qu’un rayon de soleil se frayant un chemin entre les nuages, des silhouettes qui crient la liberté à la face du monde et des couleurs qui appellent à Vivre.Bien que son art soit considéré comme expressionniste, il reste pour beaucoup atypique. De l’argile au marc du café et jusqu’à la vivacité des couleurs, l’artiste fait appel à toutes les matières et délègue à ses mains, guidées par le cœur, la liberté de peindre et de créer.
Kazem était encore en Syrie quand ses œuvres, autant que son personnage, avaient interpellé Michel Archambault. A Paris, ce dernier se presse de montrer son travail à Francis Bacon en disant : « C’est quelque chose de ta famille ». Après avoir considéré le travail de l’artiste syrien, Bacon alors répond : « Mais il n’y a pas de famille, il y a lui, et lui seul, ce créateur qui va se défendre par lui-même, cet homme va faire son propre chemin ».
Bacon avait vu juste, Kazem a fait son propre chemin et le continue. Les personnages qu’il peint sont la réincarnation de l’âme humaine dans son entière splendeur mais aussi dans son entière fragilité. Dans ses tableaux, il y a des lieux sans adresse habités par des événements qui ne cessent de se reproduire et des émotions qui, par cette expression artistique libératrice, deviennent éternelles.
Rien ne peut arrêter les rivières de couleurs de Kazem Khalil, qui semblent couler depuis des millénaires dans le sang de l’artiste, et qui sur la toile dispersent une impression de mouvement. Ce sont des émotions vivantes qui résument le passé et le présent, non seulement ceux de l’artiste mais de tout notre Orient de rêves et de sang. Son identité ne s’arrête pas à une culture unique mais transcende toutes les frontières et résume les époques par une expression profondément universelle.
« Un délire particulier circule dans l’espace de la toile, comme une anticipation ailée dont l’espace de vol nous attire et nous invite à nous installer, à aller au fond des choses. Voyant l’espace, les ailes nous séduisent et nous incitent à voler librement », c’est ainsi que s’exprima le grand poète Adonis au sujet de la série « Métamorphoses » de Kazem.
Le poète voit en ces œuvres des navires fendre le large, qui ne cherchent nullement à accoster mais qui voguent et divaguent au milieu des vagues, là où la liberté prend une dimension universelle. Un « tissu de nuage » émane de cette lumière au bord des tableaux, comme pour soulever le spectateur au plus haut point où il est possible d’observer l’esprit et ses tourments.
Dans l’art de Kazem Khalil, chaque émotion détient une beauté distinguée que l’artiste excelle à communiquer au spectateur de par la grâce des couleurs, variées mais cependant unies comme des gouttes d’eau. Des gouttelettes, qui, telles une rivière tantôt sereine et tantôt agitée, éclaboussent l’espace de nos âmes, à l’image de ces différences qui forment notre humanité.
Texte par Khaled Youssef
Editing par Danii Kessjan
source de l’article : https://syriaartasso.com/sous-projets/jasmin-4-2018/